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SAVERIA MENDELLA
BLUEMARBLE'S MULTIVERSE
7min of reading

From The Wet Issue

Lancée en 2019 par le franco-philippin Anthony Alvarez, Bluemarble rassemble artistes et sportifs dans un même univers créatif. Entre nostalgie des 90’s et poursuite de ses rêves, portrait d’un créateur qui transforme son héritage multiculturel en expressions de styles.

Bluemarble, c’est le champ des possibles. Le condensé de tout ce qui vaut la peine d’être exploré. « La bille bleue », en français, n’est autre que le surnom de la planète Terre photographiée depuis l’espace par l’équipe d’Apollo 17 en 1972. Les trois membres du module lunaire n’ont jamais voulu dire qui a appuyé sur le déclencheur de l’appareil. Mais, à l’unisson, ils se sont accordés pour définir ce qu’ils observaient comme une fragile petite bille à effet marbré. Ainsi Bluemarble devint l’une des photographies les plus célèbres de l’histoire, brandie par les écologistes comme symbole de la finitude de notre terrain de jeu. Mais, dans le monde de la mode, elle connaît un autre rayonnement. Car, depuis 2019, Anthony Alvarez a décidé de reprendre Bluemarble et ses préceptes philosophiques à son compte pour en faire un nom propre : son nom de marque.

Anthony Alvarez, 32 ans, a tout du directeur artistique nouvelle génération. Lorsque nous le retrouvons en fin de matinée dans son studio à Paris, il nous accueille en musique. Une boisson ? C’est Anthony lui-même qui fait le service, préparé à l’avance sur une table basse aux pieds chromés et surplombée d’un canapé LC2 le Corbusier, édition vintage. Tout autour, sont adossés aux murs de gigantesques moodboards de la collection Automne-Hiver 2024 qui a défilé quelques semaines plus tôt durant la Fashion Week Homme de Paris. On y observe des photographies de vans hippies superposées à des clichés du film Perfumed Nightmare, réalisé par Kidlat Tahimik, dans lequel le personnage principal rêve d’un voyage dans l’espace. Un fantasme auquel s’identifie le designer tant « l’élaboration d’une collection débute toujours par un rêve », nous explique-t-il.

"Bluemarble, c’est le champ des possibles. Le condensé de tout ce qui vaut la peine d’être exploré."

Installé non loin de ces images psychédéliques, Anthony poursuit : « Pour les chapeaux, j’ai imaginé des garçons dans une rave stellaire où les proportions des vêtements seraient complètement démesurées. » Son équipe - composée de moins de dix personnes, dont une modéliste en plein travail dans la pièce d’à côté - s’affaire ensuite pour que ses rêves deviennent réalité, transformant les chapeaux en « une expression de [son] excentricité. » Il a en effet toujours eu besoin de s’exprimer par la mode. À l’âge de douze ans, passionné par les sports de glisse - du surf au skate en passant par la planche à voile - il inquiète sa mère qui le voit se documenter jour et nuit. « Je rêvais de lancer ma marque de vêtements sportswear. Je faisais des recherches sur l’étanchéité des combinaisons, les vêtements réversibles, le carbone de la planche à voile… J’étais obsédé par l’idée de créer un vêtement à la fois esthétique et technique. » Quelques années plus tard, cette obsession adolescente est devenue son quotidien tant Bluemarble fait la part belle aux références nautiques et à l’allure décontractée des professionnels de la glisse. Mais, avant d’arriver à créer la sneaker « Kellys », baptisée ainsi en hommage au champion de surf Kelly Slater, le créateur n’a pas toujours eu pour mission de répandre son Californian spirit sur
la mode parisienne.

Né à New-York d’un père philippin et d’une mère française, il obtient un diplôme en économie de l'Université américaine Cornell puis entame une carrière dans la finance mais finit par « tout plaquer » pour lancer sa marque. Néanmoins, cette incursion dans le monde des affaires lui aura permis de bâtir un projet solide. Une hypothèse que confirment son statut de semi-finaliste au LVMH Prize en 2019 puis le Prix Pierre Bergé de l’ANDAM remporté en 2022 pour lequel les critères ne sont pas seulement esthétiques. Ces concours, que le créateur juge « essentiels à l’éco-système du secteur », ont permis à Bluemarble de bénéficier d’un accompagnement par l’investisseur Tomorrow et d’un accès à Nona Source, le fournisseur de deadstocks du groupe LVMH. « On travaille au maximum avec ces tissus », commente Anthony qui collabore avec des associations de préservation des océans aux Philippines et développe pour sa marque des chaussures réalisées à partir de deadstock de cuir.

Bluemarble aime aussi injecter une dose d'artisanat dans ses créations streetwear. En signature de ce mélange des genres, on retrouve le jean baggy incrusté de broderies porté par Justin Bieber sur scène en 2022. Depuis, c’est un best-seller ré-interprété à chaque saison. Le soutien des célébrités est venu très vite et de manière organique, à l’instar des hoodies portés par Timothée Chalamet et Jennie des Blackpink. Anthony, qui adore l’ambiance des Fashion Week, s’étonne encore de voir des VIP assister à ses défilés alors même qu’il est devenu ami avec certains d’entre eux. Lors du dernier show, il explique avoir senti que la marque gagnait en envergure, jugeant sa dernière collection particulièrement aboutie. Des évolutions à la fois esthétiques et médiatiques qu’il doit à son insatiable curiosité et à sa capacité à mélanger les références culturelles.

"Bluemarble aime aussi injecter une dose d'artisanat dans ses créations streetwear."

D’ailleurs, n’a-t-il pas peur que ce multiculturalisme caractéristique de la marque soit à contre-courant d’une époque qui condamne l’appropriation culturelle ? « Au contraire. L’intention de Bluemarble est de célébrer nos individualités et nos différences, objecte-t-il. Je ne cherche pas à mettre en avant toutes les cultures mais plutôt les valeurs du multiculturalisme dans lequel j’ai grandi à travers mes origines américaines, françaises,
philippines et corses. »

Ainsi Bluemarble reste fidèle à sa muse originelle : notre monde et la diversité qu’il renferme. Par une omniprésence du style genderfluid hérité des hippies des années 70 et des références à la pop culture des 90’s, l’homme Bluemarble semble hors du temps, opposé à une masculinité figée, à la fois citadin et adepte des bords de mer… « Mes collections sont éclectiques. J’aime la liberté de pouvoir passer d’un costume à un ensemble short t-shirt oversized », conclut le créateur. La multiplicité comme symbole de liberté, Bluemarble aurait-elle trouvé la clé de la modernité éternelle ?

Portrait by
SAVERIA MENDELLA
Photographer
EDWARD LANE
Portrait by
SAVERIA MENDELLA
Photographer
EDWARD LANE

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