From Ti Amo Issue
Rencontre avec l'esthète globe-trotter et directeur artistique de Matter & Shape, Dan Thawley, à l’occasion de la seconde édition du salon de design dont tout le monde parle.
Après 14 ans à la tête de A Magazine Curated by, Dan Thawley sillonne le monde à la recherche des plus grands talents du design, qu’il entrevoit comme un médium de réflexion esthétique, à l’intersection des savoir-faire et de la culture. En mars 2025, il dévoilait une nouvelle curation inédite dans le Jardin des Tuileries à Paris, en pleine Fashion Week. Moins de deux ans seulement après sa création en 2023 par Matthieu Pinet, sous l'égide du groupe WSN, Matter & Shape affirme son statut de leader aux côtés des plus grandes foires de design internationales.
Ce numéro Ti Amo célèbre l’Italie, que t’évoque ce pays ?
D.T. Il m'est très cher. J'ai eu la chance de travailler avec de grands créateurs italiens. Je suis proche de la famille Fendi avec qui je collabore depuis plus de dix ans. Rome est une ville que j'aime énormément. Milan, c'est une autre histoire. Il y a une pureté, une rigueur milanaise que j'apprécie beaucoup : la sprezzatura. Une forme d’élégance nonchalante. J’aime l’Italie secrète, hors des sentiers battus. Ce pays est plus romantique, plus fou que la France.
Comment as-tu rencontré Matthieu Pinet, le fondateur de Matter and Shape ?
D.T. Je venais de quitter A Magazine Curated by quand j’ai rencontré Matthieu sur les conseils de sa soeur, Sophie Pinet. Il m’a parlé de son projet de créer un événement à partir de sa plateforme de design qui avait déjà beaucoup de potentiel. Je fréquente depuis des années les plus grands salons et foires d’art et de design, du Salone del Mobile à la Frieze. Je connais leurs atouts et inconvénients. Mais cela a été un vrai challenge, il a fallu créer un événement from scratch en cinq mois. On bénéficie du réseau du groupe WSN auquel Matter and Shape appartient et de ses 35 ans d’expérience dans les salons de mode. Finalement, on a créé ce petit ovni dédié aux cultures du design pendant la Fashion Week parisienne.
La mixité, l'éclectisme et le dialogue créatif sont au coeur de Matter and Shape.
D.T. Le salon a été l'occasion d’ouvrir cet univers à de nouveaux regards, casser les codes du design en le rendant accessible, comme pourrait l’être un objet de mode. J’ai voulu m’extraire du modèle des galeries en mêlant de multiples influences et références. Présenter une tasse fleurie sur une table d'acier, une pièce de collection et un design industriel, de l’antique et de l’ultra contemporain. Je collabore avec PS, l’agence milanaise de Michela Pelizzari, la reine du Salone. Le voyage et la découverte de talents sont aussi une partie essentielle de mon travail. Après la première édition, j'ai fait un tour du monde : de la Chine au Maghreb, en passant par les États-Unis et l’Australie, d’où je suis originaire.

Courtesy of MATTER & SHAPE
Quid de la scénographie ?
D.T. On a imaginé ce cocon minimaliste et immersif, avec un côté inside-outside ouvert sur le jardin des Tuileries. Je voulais créer un lien entre les participants et les visiteurs afin qu’ils aient l’impression de faire partie d'une communauté. On a travaillé avec le designer et directeur artistique multidisciplinaire Willo Perron pour créer une expérience unique et chaleureuse, dynamisée par un ensemble d’événements culturels.
L’évolution de ta carrière reflète également les transformations qu’ont connues les industries créatives ces dernières années. Aujourd’hui, de nouvelles synergies émergent entre la mode, l’art et le design, brouillant les frontières entre ces disciplines.
La mode est devenue une forme de mécénat pour d’autres disciplines créatives. C’est une dynamique très positive, à condition de savoir distinguer ce qui relève de la valeur réelle et de l’authenticité. Pour les artistes et designers émergents, collaborer avec de grandes marques internationales peut offrir une visibilité incroyable. Mais des différences fondamentales entre les disciplines subsistent. La première, c’est la temporalité. Le design demande du temps — bien plus que la mode, où l’on peut encore modifier la longueur d’une robe deux minutes avant un défilé. Concevoir une collection de design peut prendre jusqu’à cinq ans. C’est un autre rythme, une autre relation à la création.
Depuis tes débuts au sein du concept store RA anversois à aujourd’hui, la communauté a été l’un des fils rouges de ta carrière.
D.T. J’ai eu une chance inouïe de commencer jeune chez A Magazine Curated by. À chaque numéro, de nouveaux mondes s'ouvraient à moi. On explorait le cosmos d’un créateur en dévoilant sa vision à travers son cercle proche, ses inspirations et souvenirs. La beauté d'un magazine, c’est de découvrir des univers et des personnalités simplement en tournant les pages, en mettant les choses en contraste. On a imaginé l’espace de Matter and Shape comme si on marchait dans un magazine. J’ai voulu créer des ponts entre des scènes que rien ne rassemble : des indie kids londoniens à côté d’une maison d’héritage de verre autrichienne. Chaque projet du salon est authentique. Il ne suffit pas que cela soit beau. Ce qui m’intéresse, c’est la narration derrière un design : l'histoire d'une matière, d'une technique, d’un artisanat.
Peux-tu nous parler de cette édition 2025 de Matter and Shape ?
D.T. On rend hommage au centenaire de l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris qui a eu lieu en 1925. Je me suis inspiré du Pavillon de l'Esprit Nouveau, un joyau moderniste, au coeur des années 20, conçu derrière le Grand Palais par Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Ils ont présenté ce pavillon noir et blanc, à l’esthétique minimale, dans une époque marquée par le Wiener Werkstätte en Autriche, mais aussi par l’Art Déco et l’Art Nouveau, plus ornementaux. C'était vraiment très radical pour l’époque, presque punk.
Quels talents ont été mis en avant dans l’édition 2025 ?
Nous accueillons des créateurs venus de Chine, du Japon, de Turquie, de Colombie, du Brésil… C’est une véritable curation internationale. Nous dévoilons également de nombreux dialogues créatifs, comme la collaboration entre Vitra et Julie Richoz, ou encore Lobmeyr, le fabricant viennois de cristal depuis 1823, qui présente des pièces vintage en collaboration avec la designer Laila Gohar. La marque Byredo propose aussi un projet exclusif avec le designer parisien Benoit Lalloz, un véritable maître de la lumière — il collabore notamment avec Acne Studios, Phoebe Philo ou encore Balenciaga. Tous sont des projets qui me tiennent particulièrement à cœur.
Mais je repense à l’Italie, j’ai oublié Venise ! On ne peut pas oublier Venise ! Une ville pleine de contraste, de beauté et de difficulté. La brume, l'aqua alta, Cannaregio, Murano, sans oublier la maison de mon grand ami Rick Owens qui vit sur le Lido. J’y ai vécu des moments inoubliables. L’Italie, finalement, c'est un film.

Photographer GOLDIE WILLIAMS
Translated from French
Meeting with the globe-trotting aesthete and artistic director of Matter & Shape, Dan Thawley, on the occasion of the second edition of the design salon everyone is talking about.
After 14 years at the helm of A Magazine Curated By, Dan Thawley is now traveling the world in search of the greatest talents in design, which he views as a medium for aesthetic reflection, at the intersection of craftsmanship and culture. In March 2025, he unveiled a fresh and unique curation in the Jardin des Tuileries in Paris, during Fashion Week. Less than two years after its creation in 2023 by Matthieu Pinet, under the auspices of the WSN group, Matter & Shape is establishing itself as a leader alongside the world’s major international design fairs.
The Ti Amo Issue celebrates Italy. What does this country represent for you?
D.T. It’s a place I hold dear. I've been lucky enough to work with some great Italian designers. I’m close to the Fendi family with whom I’ve been working for more than ten years. I love Rome— Milan is another story. There’s a purity, a Milanese rigor that I truly admire: sprezzatura, a form of nonchalant elegance. I also love the secret Italy, away from the well-trodden paths. It’s a country that is more romantic and
crazier than France.
How did you meet Matthieu Pinet, the founder of Matter and Shape?
D.T. I had just left A Magazine Curated by when I was introduced to Matthieu by his sister, Sophie Pinet. He shared his vision of creating a physical event to complement his design platform, which already had great potential. I have been visiting the world’s leading design salons and art fairs for many years, from the Salone del Mobile to Frieze. I’ve seen what they get right and what they get wrong. But it was a real challenge. We had to create an event from scratch in five months. We benefited from the network of WSN, experts in trade shows, to which Matter and Shape is affiliated, and its 35 years of experience in fashion salons. In the end, we created this little UFO-like space dedicated to design culture during Paris Fashion Week.

Courtesy of MATTER & SHAPE
Creative dialogue, eclecticism and mixing are at the heart of the “business-focused design salon” Matter & Shape.
D.T. The salon was an opportunity to open up this world to new perspectives; breaking design codes by making it accessible, just like a fashion object can be. I wanted to extract myself from the gallery model by incorporating a multiplicity of references and influences: presenting a flower-embellished cup on a steel table, a collector’s piece alongside an industrial design, blending the antique with the ultra-contemporary. I collaborate with PS, the Milanese agency run by Michela Pelizzari, the queen of the Salone. Traveling and discovering new talents are key aspects of my work. After the first edition, I went around the world — from China to North Africa, via the USA and Australia, which is where
I’m originally from.
What about the scenography?
D.T. We imagined a minimalist and immersive cocoon, with an inside-outside feel, opening onto the Tuileries Gardens. I wanted to create a link between participants and visitors so they would feel part of a community. We worked with multidisciplinary designer and creative director Willo Perron to create an experience that is both unique and welcoming, brought to life through a carefully curated program of cultural events.
From your early days at the emblematic concept store RA in Antwerp, up until now, community has been one of the guiding principles of your career.
D.T. It was incredible luck to start young at A Magazine Curated by. With each edition, new worlds opened up for me. We were exploring the entire cosmos of a designer, presenting their vision through their closest friends, their inspirations and their memories. The beauty of a magazine lies in discovering worlds and personalities simply by turning the pages, by creating contrasts. We imagined the space of Matter and Shape as if we were putting together a magazine. I wanted to build bridges between unexpected scenes: London indie kids next to a traditional Austrian glass house. Each of the salon’s projects is authentic. It’s not enough for it to be beautiful. What truly interests me is the story behind a design: the tale of a material, a technique, its artisanship.

Courtesy of MATTER & SHAPE
The evolution of your career also reflects the shifts within the creative industries over the past few years. Today, new synergies are emerging between fashion, art, and design, blurring the boundaries between these disciplines — and Matter and Shape is a clear example of this.
Fashion has become a kind of patronage for other creative disciplines. It’s a very positive dynamic, as long as we can distinguish between what has real value and what is truly authentic. For emerging artists and designers, collaborating with major international brands can offer incredible visibility. But fundamental differences between disciplines still remain. The first is timing. Design takes time — much more time than fashion, where you can change the length of a dress two minutes before a show. Creating a design collection can take up to five years. It’s a different pace, a different relationship to creation.
Can you tell us about the 2025 edition of Matter and Shape?
D.T. We are paying homage to the centenary of the International Exhibition of Modern Decorative and Industrial Arts, which took place in Paris in 1925. I was inspired by the Pavilion of L’Esprit Nouveau, a modernist jewel designed in the 1920s by Le Corbusier and Pierre Jeanneret, which was located at the time behind the Grand Palais. They presented this black and white Pavilion, with a very minimalist aesthetic, in a period dominated by Wiener Werkstätte in Austria, but also by Art Deco and Art Nouveau, which were more ornamental. It was truly radical for the time, almost punk.
Which talents are featured in the 2025 edition?
We have creators from China, Japan, Turkey, Colombia, Brazil... It’s truly an international curation. We’re also unveiling numerous creative dialogues, including Vitra x Julie Richoz, and Lobmeyr, the Viennese crystal manufacturer since 1823, which is showcasing vintage pieces in collaboration with designer Laila Gohar. The brand Byredo is also presenting an exclusive project with Parisian ling designer Benoit Lalloz, a true master of lighting - he works for brands like Acne Studios, Phoebe Philo, and Balenciaga. These are all projects that are particularly close to my heart.
But going back to Italy—I forgot Venice! And you can’t forget Venice. A city full of contrasts, beauty, and difficulty. The mist, the acqua alta, Cannaregio, Murano — not to mention the home of my great friend Rick Owens, who lives on the Lido. I’ve spent some incredible moments there. Italy — it’s like a film.